J'hésite encore sur le choix d'un titre. Lisez ma petite histoire et suggérez moi un titre !
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J’ai une mauvaise habitude que je n’arrive pas à surpasser, c’est d’avoir peur de la foudre. Je n’ai pas peur de la foudre qui déchire le ciel et qui amène en même temps des pluies diluviennes, mais seulement de la foudre avec des grondements dont les échos se succèdent à travers les vallées, se propageant depuis un horizon rougeâtre à la fin d’une journée de chaleur étouffante annonçant l’arrivée de l’été.
Je n’ai jamais trouvé l’origine de cet état d’âme, mais chaque année dans les premiers jours de l’été, cette image d’un horizon rougeâtre et orageux me rappelle une anecdote, ou plutôt un souvenir mettant fin à ma jeune enfance dans mon village natal. Une anecdote insignifiante mais qui a transformé ma vie de l’état d’un enfant pas encore adolescent à l’état trop précoce d’un adulte, comme un jeune fruit qui a quitté sa branche avec encore sa robe velouteuse et poudreuse pour mûrir dans un sac de riz ou de balle sans que son jus acide puisse à jamais se transformer en sucre.
***
A l’époque, je n’étais encore qu’un écolier dans les dernières années d’une école primaire du village. Mon village se trouvait sur la berge de la rivière Binh-Luc, une branche de la rivière des Parfums. Mais en réalité la rivière de mon village était séparée de la rivière des Parfums par une digue de pierre solidement maçonnée. Chaque année, quand la saison des pluies arrivait, c’était une occasion pour beaucoup d’amusements et de joie mélangée de peur pour nous tous, les enfants du village. Jour et nuit nous écoutions la rivière qui grondait comme des chutes d’eau. La rivière était devenue immense comme une mer, et le village était comme rétréci en un tout petit quartier. Des pluies incessantes tombaient jour et nuit, mais nous, les enfants du village, en groupes de trois ou quatre jouions en pataugeant dans l’eau. Ou bien nous suivions nos parents pour ramasser du bois de chauffage que les eaux ramenaient depuis des montagnes bien loin en amont, ou bien nous passions des heures et des heures à regarder les barques transportant des passants, de façon bien précaire sur les vagues de la rivière en crue. Pourtant, à notre jeune âge, il nous arrivait parfois de ne pas pouvoir dormir la nuit, avec le grondement de la rivière et l’image des barques qui sombraient dans les flots et des noyades…
De toute façon, quand nous entendions dire que la digue allait être inondée, nous étions tous secrètement transportés de joie, car il y aurait sûrement des journées spéciales sans école.
Un jour, la crue était très importante, car aucune barque n’osait traverser la rivière. L’eau montait jusqu’à nos genoux dans notre village. Bien sûr, pour nous autres, enfants dans le village, c’était comme une journée de foire avec beaucoup d’amusements. A l’exception des personnes très âgées et des très jeunes enfants qui ne pouvaient pas encore patauger dans l’eau, tout le monde était dehors, soit pour des jeux dans l’eau comme nous, soit pour ramasser du bois de chauffage comme des adultes.
Complètement nu, j’étais entrain de jouer dans l’eau, d’éclabousser l’eau, faisant semblant de conduire une voiture. Derrière moi étaient trois ou quatre autres garçons, de mon âge et aussi de mon école. Nous nous tenions par la taille les uns derrière les autres et nous courions ainsi à travers le quartier comme un convoi. A ce moment là, l’amusement du jeu était tel que nous oublions qu’il y avait dans le village des filles de notre âge aussi, et que pendant les jours ordinaires, quand nous les rencontrions, soit nous les garçons, ou elles, les filles, nous nous comportions parfois déjà avec réserve et timidité.
Arrivant au coin de la rue du village, nous ralentîmes, en « criant » fort le klaxon comme une voiture avant de s’engager dans un virage dangereux. Soudain, j’entendis quelqu’un crier mon nom, en même temps il me toucha sur le côté :
– Lâm ! Laisse moi me joindre à vous !
Je me retournai, sans aucun étonnement :
– Ah Tuân ! Monte vite ou le convoi va démarrer.
Ainsi notre convoi avait un nouveau petit client. Mais, comme il était petit – il avait trois ans de moins que moi – j’aurais dû le laisser nous joindre à la fin du convoi, ici je le laissais prendre place directement derrière moi. Il devait faire un effort pour arriver à entourer ma taille avec ses bras, et celui derrière lui devait se courber pour entourer la sienne.
Depuis ce moment là, notre convoi ne roulait plus convenablement, soit à cause de l’inégalité de la hauteur de nos tailles, ou à cause d’une autre raison obscure que je ne connaissais pas. La seule chose dont j’étais conscient, était que Tuân portait un short bleu avec des bretelles, alors que nous tous, y compris moi à la tête du convoi, étions nus comme des vers.
Arrivant au marché, je décidai de rompre le jeu sans donner de raison, et courus droit à la maison. Tuân qui venait de nous joindre seulement un instant, était très déçu. Il m’appela, mais je continuai à courir, sans dire mot. Après avoir enfilé en vitesse un caleçon, je retournai au marché où les autres étaient encore là, entrain de se demander pourquoi notre convoi ne fonctionnait plus.
Je pris la main de Tuân et l’amenai loin des autres. Quand nous fûmes hors de portée de voix, je lui demandai :
– Comment oses-tu venir tout seul ?
– J’aime patauger dans l’eau, mais mes parents ne me l’autorisent pas, alors je me suis glissé dehors, me répondit Tuân en sautillant joyeusement sur ses pieds.
– Et si tes parents découvraient ?
Il n’entendit pas ma question, mais montra d’un doigt une petite boîte en bois flottant sur l’eau à quelques mètres devant nous. Je me précipitai pour le ramasser. C’était une boîte à cigares vide. Tuân en était ravi, mais tout de suite je pensai à l’utilité de la boîte, me souvenant de celles de certains de mes amis riches, dans lesquelles il y avaient des compartiments et sur lesquelles il y avait les mots « Le Plumier » joliment écrits.
Je retournai vers Tuân :
– Cette boîte est complètement mouillée et imbibée d’eau, je vais la sécher et je te l’apporterai dans quelques jours. Et puis, si tu l’amènes maintenant à la maison, tes parents vont savoir que tu as été dehors à patauger dans l’eau.
Sur ce, quelqu’un me lança une pierre dans le dos qui me fit très mal. Je me retournai pour essayer de localiser le coupable quand une rafale de rires et de moqueries éclata depuis derrière le petit temple du marché :
– Hé ! Hé ! Lâm le lèche-botte !
Très étonné, je ne compris pas pourquoi ils m’appelèrent « lèche-botte ». Et de qui étais-je censé de lécher les bottes ? Je regardai autour de moi, il n’y avait personne d’autre que Tuân et moi. Ils ne pouvaient pas avoir deviné mes idées concernant la boîte à cigares. Et même si c’était pour cela, ce n’était pas suffisant pour m’appeler « lèche-botte ». Je réfléchis un petit moment. Peut être il s’agissait bien de Tuân, parce que son père était un maître dans une école en ville. De toute façon, je sentis que ma « dignité » avait été atteinte, et mon « amour propre » bouillonnant de rage était sur le point d’exploser. Je devrais leur montrer que j’étais un héros surtout en présence de « quelqu’un » comme Tuân. Même si jusqu’ici, je n’avais jamais encore gagné un combat contre n’importe quel garçon de mon âge. Et en ce moment, ils étaient quatre contre moi. Tuân semblait avoir peur, il me tira par la main voulant m’entraîner ailleurs. Mais la réaction de Tuân au contraire m’incita à rester. Je me retournai vers les autres, une main sur la hanche, criant :
– m**** !
Aussitôt ils se précipitèrent tous vers moi de façon très menaçante. Mais heureusement, à ce moment là, la voix de quelqu’un criant depuis un petit kiosque de thé, que je reconnus comme la voix de M. Tinh, un membre du peloton de la milice du village :
– Hé ! Les garçons là-bas ! Vous voulez vous battre ? Je vais vous enchaîner tous et vous enfermer en haut dans le poste de garde !
Me sentant rassuré, je considérai comme ayant gagné la bataille.
Le lendemain, les eaux s’étaient beaucoup retirées. Les barques pleines de passants commencèrent à faire la navette entre les deux rives de la rivière. Les élèves des écoles en ville reprirent leur chemin. Mais mon école, se trouvant dans un quartier assez bas du village ainsi que certaines autres portions de rues dans le quartier étaient encore envahies pas les eaux, j’avais encore quelques jours supplémentaires. Cependant, ce matin là, je me levai tôt comme d’habitude. Je me rendis à la rue longeant la berge de la rivière avec d’autres personnes qui allaient voir et évaluer les dégâts causés par la crue. Mon intention était de rencontrer Tuân, parce que je savais qu’il devrait aller à l’école avec sa sœur. J’avais la boîte à cigares dans ma main. Dans la boîte j’avais glissé un petit mot disant que je lui « offrais » la boîte. Maintenant, en y repensant, je trouve que c’était vraiment ridicule de ma part. Mais quand je posai ma plume pour écrire ces mots, je pensais que je faisais quelque chose de vraiment « sublime ». Tuân n’était qu’un élève du cours préparatoire, et mon écriture en ce moment là n’était peut être même pas assez claire pour qu’il puisse lire ! Sachant bien ainsi, mais je voulais surtout que Tuân gardât quelque chose de moi, ou ayant un rapport avec moi. Je ne savais pas pour quelle raison.
Après avoir attendu un moment, je commençai à me désespérer, et pensai à rentrer à la maison, mais un vague espoir m’incita à longer la rivière vers la maison de Tuân. Arrivant près de l’atelier du forgeron, je vis de loin la silhouette d’une petite fille de mon âge portant un longue imperméable. Je pensai que c’était Liên-Hy, la sœur de Tuân. Mais bizarrement Tuân n’était pas avec elle. Je me précipitai pour me cacher derrière le coin de l’atelier, attendant que Liên-Hy passât. Puis je sortis de ma cachette et la suivis silencieusement, avec la boîte à cigares dans ma main, sans savoir ce que j’étais entrain de faire.
Après un moment, elle se retourna, non intentionnellement, et rencontra mon regard fixé sur elle. Son expression était complètement indifférente, jusqu’au point où je me demandai si elle m’avait reconnu. Cependant, je sentis une émotion difficile à décrire, mélangée à la fois de la joie, une petite pointe de reproche, et un peu de honte en pensant aux mots « lèche-botte » dont les garçons m ‘avaient qualifié le jour précédent.
J’étais encore dans mes pensées, quand un klaxon de bicyclette me fit sursauter. En me retournant, je vis M. Minh, le père de Liên-Hy et de Tuân. M. Minh était un maître d’école gentil et jovial de nature. Il m’aimait beaucoup, comme je n’étais pas un garçon turbulent, et non plus un garçon insolent. Souvent il passait voir mes parents chez nous, en tant que notable du village, pour parler de mes études. Sachant bien ainsi, mais pris au dépourvu, et surtout j’avais l’impression d’être pris en flagrant délit entrain de faire quelque chose d’illégal, je n’arrivai pas à lui répondre à temps quand il me demanda :
– Ne vas-tu pas à l’école aujourd’hui, Lâm ?
J’entendis encore sa voix s’éteindre au loin quand il me dépassa rapidement sur sa bicyclette. Hésitant sur place pendant un moment, je regardai la silhouette de Liên-Hy et la bicyclette de M. Minh se perdre derrière le petit temple du village, puis soudainement je pensai à Tuân. Pourquoi n’allait-il pas à l’école avec sa sœur ? Serait-il tombé malade parce qu’il avait pataugé dans l’eau le jour précédent ? Un sentiment de culpabilité m’envahissait, et je courus d’un trait jusqu’à chez lui, pour essayer de comprendre pourquoi il n’était pas allé à l’école, et savoir s’il était vraiment malade.
Je me mis sous les bambous devant le portail de sa maison. Des rafales de vent faisaient tomber ce qui restait encore sur les feuilles des arbres après les dernières pluies. Je grelottais de froid mais essayai de rester et de patienter encore. Après avoir sifflé une chanson de Scout, Tuân apparut avec hésitation sur le seuil de la porte. Je sortis tout de suite de ma cachette, avançant ma main tenant la boîte à cigares. Voyant que c’était moi, il sortit tout de suite de la maison et courut vers moi. J’entendis en même temps la voix de Mme. Minh appelant Tuân de l’arrière de la maison, me faisant craindre que peut être je ne fusse pas venu au bon moment.
Tuân sembla aussi terrifié. Il m’attrapa par la main et me tira fort dans la maison. Je n’eus pas eu le temps pour protester, quand Mme Minh arriva sur le seuil de la porte. Tuân s’empressa d’expliquer la situation :
– J’ai voulu demander à Lâm de venir jouer avec moi.
Timidement, je suivis Tuân à l’intérieur. Les personnes adultes de la maison, voyant que je n’étais qu’un enfant sans importance, nous laissaient seuls, sans se préoccuper de nous.
Tuân me montra tous les coins et recoins de sa maison. J’étais rempli d’émerveillement devant tout. En réalité, il n’y avait rien de très spécial, mais comparé avec la simplicité et le manque total de décoration de ma maison, ce que j’ai vu chez lui était pour moi trop beau, trop « classe ». Pourtant, je n’étais pas étranger à l’extérieur de sa maison. Combien de fois j’avais assisté à des feux de camp sur sa cour en terre battue – J’étais à cette époque un louveteau et M. Minh était mon chef de troupe – Mais je n’avais jamais encore vu l’intérieur de sa maison. Quelque fois j’avais essayé d’imaginer comment ça pouvait être, mais mes imaginations et suppositions étaient toutes fausses et loin de la réalité.